Même si le sujet n’est pas nouveau, vous le voyez partout en ce moment. Nous parlons bien sûr de la Skills-Based Organization qui promet de révolutionner notre adéquation entre travail et développement. Est-ce enfin une approche des compétences qui fonctionne, et surtout, sonne-t-elle le glas de la vision par métier ?
Le faux-départ des référentiels de compétences
Il y a une dizaine d’années, tout le monde se lançait puis abandonnait petit-à-petit la réalisation de référentiels de compétences. Nous connaissons les causes de cet échec : la lourdeur de la démarche, son impossibilité à la maintenir, l’absence de gouvernance, des cas d’usage inapplicables… Sans parler des débats sans fin : qu’est-ce qu’une compétence, un skill, un savoir, une attitude, faut-il les différencier…
Pourtant l’intention était louable. Identifier les compétences permet de donner de la visibilité aux collaborateurs sur leur développement, d’aligner les catalogues de formation avec de réels besoins, de favoriser le staffing projet, les succession plans, les mobilités, d’orienter les profils en recrutement…
En résumé : l’idée était séduisante, mais cela coûtait cher et ne rapportait pas assez. Ayons d’ailleurs une pensée émue pour tous ces beaux fichiers Excel inutiles qui nous ont quittés trop tôt…
Et c’est également au milieu des années 2010 que se sont lancé.e.s plusieurs entrepreneur.e.s visionnaires avec en tête l’idée de dépoussiérer la cartographie des compétences (e.g. 365 Talents). Nous y reviendrons dans une future publication, mais leur promesse était justement de faciliter le travail de cartographie et d’entretien, tout en y associant une variété de cas d’usage (le plus connu étant la Talent Market Place).
Pourquoi parler de Skills-Based Organization (SBO) ?
Alors pourquoi ce retour en grâce de l’approche par les skills, et de quoi parle-t-on ?
Idéalement dans une skills-based organization, la notion de skill ou de compétence n’est pas une arrière-pensée au service de l’organisation et de la hiérarchie, mais au contraire le cœur de cette organisation.
En se focalisant sur les tâches et activités à réaliser (et non les objectifs, soit dit en passant), elle permet une plus grande fluidité puisqu’en théorie, tout le monde peut “faire le job” si tant est qu’il dispose de la bonne compétence. Sous réserve bien sûr que l’on arrive à identifier qui sait faire quoi, cela résulte souvent dans des hiérarchies plus plates et des méthodes de travail plus agiles.
Cela permet également de déconstruire les idées préconçues sur qui est à même de réaliser une tâche, indépendamment de son âge, de son sexe ou de son diplôme. Ce faisant, on élargit sa base de talents, ce qui est particulièrement utile en période pénurique.
Que du bonheur donc, grâce à la SBO. Du moins en théorie.
Garder le sens des métiers.
Il y a bien sûr un revers à ça. Dans la vision pure et parfaite de la SBO, “skills are the new currency”. Cela ringardise donc le concept de job ou de métier, puisque je ne suis plus défini par ce que je suis (mon titre, mon étiquette, mon métier) mais ce que je fais (ou plutôt ce que je sais faire grâce à mes compétences). On peut donc allègrement devenir un “slasher”, un homme/femme à tout faire corporate, un Michel Morin comme on dit dans le Sud-Ouest.
Si cette vision convient bien à certains profils très polyvalents, souvent très éduqués et bien diplômés, elle est en réalité parfois très déroutante pour la majorité des travailleurs.
- L’organisation structurelle. Il y a d’abord une nécessité structurelle à conserver la notion de rôle. Évidemment, le rôle n’est pas un job. Sauf que les jobs sont souvent détourés afin de suivre précisément… les rôles. Pour faire une analogie sportive, il y a des “postes” en rugby qui peuvent être occupés par plusieurs joueurs dits polyvalents. Il est fréquent que des arrières soient aussi capables de jouer 10, ou des 2ème lignes capables de passer 3ème ligne quand la situation de jeu ou de l’équipe l’exige. Mais on voit rarement un pilier de 130 kg capable de pousser une Twingo en mêlée jouer à l’aile, un poste où il faut être capable de faire le 100 m en 11s.. Parce qu’ils n’ont tout simplement pas les mêmes assortiments de “skills” physiques, qui ont été développés en conjonction avec leur job justement.
- L’identité. Pour certains, le job est enfermant. Mais pour d’autres, il est identitaire. Selon la place que l’on accorde à son travail, ou sa confiance à “repartir de zéro”, supprimer le job ou le titre peut être vécu comme un déclassement et être particulièrement anxiogène. On a beaucoup observé cela lors de la mise en place des organisations matricielles, où certains postes se retrouvaient vidés de leur substance, par exemple avec un rôle de management qui n’en était pas un.
- La progression. Les filières professionnelles sont souvent structurées et caractérisées par des successions de rôles connus. On sait que pour devenir CFO, il faudra d’abord être Controlleur ou Finance Business Partner, puis prendre la responsabilité d’un petit pays ou périmètre, avant de prétendre à un un plus grand puis de remonter au Corporate pour in fine occuper le poste tant convoité. Cette trajectoire est connue, donc rassurante et procure des orientations à prendre pour quiconque veut emprunter cette voie. Supprimer les jobs, c’est potentiellement supprimer les Career Paths.
Renforcer le lien entre skills et jobs.
Donc devenir une SBO, c’est nul ? Encore une fois, ne nous hâtons pas de brûler ce que nous avons adoré (j’exagère peut-être un peu). Voyons les choses sous un autre angle.
- Les skills sont des ingrédients.
- Le job est la recette.
- Et les familles de jobs se caractérisent par leur proximité en termes de compétences.
Dit autrement, dans la famille des gâteaux, il est évident que l’on retrouvera de la farine pratiquement à chaque fois, que l’on parle de cheesecake ou de forêt noire.
Les skills attendus pour un job donné évoluent, et le caractérisent différemment. D’ailleurs un même job peut vouloir dire des choses complètement différentes d’une business unit à l’autre. Chez Renault, pas sûr qu’un ingénieur motoriste sur la Zoé ait besoin des mêmes compétences que sur le Kadjar.
Devenir une SBO ne signifie donc pas abolir la notion de job, mais la marier harmonieusement avec celle de métier, tout en donnant une vision prospective et dynamique. Ce n’est évidemment pas une sinécure, et cela nécessite une véritable organisation à mettre en place. Et au même titre qu’il a des rituels de succession plan, d’org review, des rituels de talent review, il pourrait exister une jobs and skills review. Ce qui est d’ailleurs peut-être un nom plus sexy pour parler de Strategic Workforce Planning !