Il y a des thèmes qui sont plus consensuels que d’autres. Celui de la diversité et de l’inclusion est plutôt de nature…clivante. Il suffit de demander autour de vous si les gens sont pour ou contre les quotas de parité, ethniques, religieux : cela ne manquera pas d’animer vos dîners en ville.
Le job même de “Head of Diversity & Inclusion” n’échappe pas à cette ambivalence. En 2020, un grand nombre d’articles le présentent comme LE poste à briguer, avec une croissance de 100% en 5 ans.
Sauf que 2023 est passée par là, et pour la première fois le nombre de professionnels du sujet décline. Pire : ceux qui sont partis ne trouvent plus d’emploi. En cause côté employé, la lassitude qu’éprouvent ces responsables devant l’inaction de leurs entreprises. Côté employeur, la dimension “nice to have” du sujet. Il faut dire qu’aux US – souvent leaders sur ces questions – la tendance n’est pas favorable. La Cour Suprême vient de retoquer l’Affirmative Action comme étant anticonstitutionnelle, les avocats des Big Corps se préparent a des recours en discrimination, et le contexte d’élection présidentielle a tendance à antagoniser les positions.
Sans parler des récents errements de Gemini, l’IA de Google, qui est devenue la risée du Web par sa réécriture du passé (et négation du présent).
Est-ce donc à cela que se résume le D&I ou DEI, une simple mode ? Ou bien sommes-nous en pleine vallée de la désillusion avant un retour du sujet ? Nous vous proposons quelques clés pour en faire un sujet durable.
De quoi parle-t-on ?
La littérature abonde sur le sujet, mais si l’on simplifie et que l’on prend l’angle “Process RH” :
- La diversité est une affaire de Talent Acquisition, i.e. inviter des profils moins privilégiés à la fête
- L’inclusion est une affaire de management, i.e. pour filer la métaphore, inviter la diversité à danser. Cela veut dire changer les processus de Talent Review, de Succession Planning, etc.
Le sujet est évidemment très encadré. Déjà parce que les données personnelles associées sont au plus haut niveau de sensibilité, voire complètement proscrites dans un grand nombre de pays. En France, seules les données liées au genre, à l’éducation ou la carrière sont autorisées.
Ensuite parce que le sujet se mêle assez souvent avec les indicateurs RSE, les nouvelles directives européennes relatives à la CSRD, et les focus locaux spécifiques (e.g. l’index d’égalité professionnelle).
Au-delà des questions morales, la réglementation par elle seule pourrait justifier la création de rôles dans les entreprises ou l’extension de rôles existants. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé.
Tout régler avec un poste
On nous demande de “faire de la D&I” ? Pas de problème, créons un nouveau rôle ! Si le “pattern” vous semble familier, c’est parce que c’est le même que celui qu’a suivi le Digital, jusque dans l’intitulé du rôle (CDO).
Autrement dit, à l’injonction floue mais pressante de refléter dans la société la diversité de la Société (savourez l’utilisation du haut de casse), nous avons répondu comme nous faisons habituellement : on nomme un chef.
Mais pas une équipe.
Une fonction qui n’en est pas une
Car nommer un responsable et constituer une équipe se heurte à une autre vision de la D&I (qui est valable aussi pour tous les sujets nouveaux, cf. le digital) : on doit l’intégrer partout. Inutile donc d’en faire une fonction dédiée, car c’est l’affaire de tous.
Créer une fonction avec des ressources qui coûtent de l’argent, ou ne rien faire et prendre le risque d’être les derniers de la classe ? Allons vers un compromis et nommons un responsable, avec un petit budget communication.
Et c’est bien cela qui crée le blues des responsables D&I aujourd’hui : ils sont 40% plus susceptibles de quitter leur entreprise que leurs homologues RH, et quand on leur demande s’ils se sentent soutenus par le management intermédiaire, 42% répondent oui (en chute de 8 points entre 2022 et 2023).
Arrêter de regarder le passé
Et si la fonction n’était tout simplement pas en train de gagner en maturité, victime de douleurs de croissance ?
Comme le dit l’adage, on n’améliore que ce que l’on mesure. Et les attentes en matière de reportings ne manquent pas, y compris pour les entreprises de taille modeste. L’index d’égalité professionnelle par exemple concerne les entreprises de plus de 50 collaborateurs.
C’est une première étape essentielle bien sûr, et être capable de générer de la data historisée de manière constante et “à l’échelle” n’est pas une sinécure.
Mais le retour sur investissement est encore nul. En se contentant des reportings, les entreprises ne font que se mettre en conformité avec la législation. C’est une posture défensive, qui ne s’inscrit pas dans l’action.
L’étape suivante est donc naturellement de projeter la D&I dans le temps afin d’en dessiner une trajectoire. Car si l’on subit son passé, on peut rester manoeuvrant sur son futur. C’est sans surprise l’une des nombreuses applications du Strategic Workforce Planning (Gestion Prévisionnelle des emplois et des Compétences).
Le processus de SWP (GPEC 2.0) comporte en effet la notion d’offre et de demande. En planifiant sa diversité, l’entreprise peut redevenir intentionnelle dans ses actions d’équité. C’est cette projection qui permettra à la D&I de gagner en crédibilité. Sans cela, elle se condamne elle-même à des ambitions qui sonneront comme des vœux pieux.